Article original | Photos et article : PAR CLAUDE THIBODEAU (8 mai 2024, 19 h)
Depuis trois ans maintenant, le Centre d’innovation sociale en agriculture (CISA) du Cégep de Victoriaville pilote le projet AUSIRIS qui a permis, à ce jour, l’inclusion de sept jeunes adultes autistes au monde du travail dans le secteur agroalimentaire.
Un partenariat avec le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ), le Centre de services scolaire des Bois-Francs, l’Institut national d’agriculture biologique (INAB) et le Service externe de main-d’œuvre du Centre-du-Québec (SEMO) a permis la réalisation du projet qui a bénéficié du soutien de l’Agence de santé publique du Canada et du Conseil de recherches en sciences humaines. L’idée d’un tel projet revient à l’enseignant-chercheur Martin Bernard, papa d’une jeune fille autiste de 10 ans. « Bien souvent, les parents craignent le cul-de-sac à la fin de la fréquentation scolaire de leur enfant à 21 ans. Des parents sont parfois obligés de mettre leur carrière en suspens, de s’organiser avec l’employeur. D’autres font le choix d’arrêter de travailler, d’autres travaillent à la maison. C’est aussi une perte d’expertise au niveau des entreprises », observe-t-il.
Mieux que quiconque, Martin Bernard sait fort bien que les personnes autistes ont du potentiel. « J’ai décidé de faire quelque chose en regardant les forces de notre région, à savoir l’agriculture et les services disponibles dans la région au niveau du trouble du spectre de l’autisme. En jumelant les deux, me suis-je demandé, peut-on faire de l’inclusion de jeunes dans l’agroalimentaire, penser que ces gens peuvent s’intégrer dans une démarche agroalimentaire, dans un travail, et tenter de trouver les meilleurs scénarios pour réussir à le faire correctement? Tout part de là », expose-t-il. Et le CISA a embarqué dans l’aventure. Il fallait tout d’abord réfléchir au projet, le définir, préciser les objectifs et cibler un programme de financement, note Catherine Théberge, chercheuse au CISA.
« Pour nourrir notre réflexion, rien de mieux que d’asseoir, autour de la table, les gens qui connaissent bien la réalité de l’autisme et qui ont de bonnes idées », dit-elle. Le projet a donc été couché sur papier, déposé et il a été retenu dans un programme fédéral de financement pour trois ans. Un projet pilote s’est alors mis en branle à l’été 2022 dans trois milieux différents, notamment à l’INAB. « Ce fut véritablement un été d’observations et d’adaptation. On s’est adapté continuellement », indique Martin Bernard. Le projet pilote nous a servi de façon incroyable pour la suite. » L’enseignant-chercheur explique que le trouble du spectre de l’autisme constitue un domaine assez vaste. « On doit s’ajuster aux besoins de chaque personne. Même si on a un scénario de base, il faut s’ajuster à la capacité et aux besoins de la personne. Ainsi, l’intégration pour certains requiert plus de temps que pour d’autres », souligne-t-il.
Pour François Wauthy, la démarche a été somme toute facile et rapide. « J’y suis depuis le début, je suis entré dans le projet comme un simple participant. Mais puisque j’ai beaucoup de facilités de communication en tant qu’autiste, on m’a proposé d’être représentant des participants dans certains événements et même de faire partie du comité de pilotage. J’ai comme gravi des échelons », confie-t-il. On l’a même invité à prononcer des conférences, l’une au CIUSSS MCQ pour présenter le projet, mais aussi devant des étudiants en techniques d’éducation spécialisée.
« Je le vis moi-même, j’ai donc une bonne compréhension de l’autisme », exprime-t-il. Dans les débuts du projet, François se souvient que les participants n’étaient guère en contact avec les élèves de l’INAB. Mais la situation a évolué avec le temps. « Petit à petit, au fil des semaines, il y a eu une évolution à ce niveau. À la fin de l’été, on était pratiquement en permanence avec eux. Les élèves étaient extrêmement ouverts, intéressés au projet », souligne-t-il. L’un des étudiants, justement, Guillaume Hamann-Legris, acquiesce. « De fil en aiguille, on a appris à les connaître. Cela s’est super bien passé », témoigne-t-il. Et puis, alors qu’il éprouvait une envie de renouveau et de prendre un recul de l’agriculture, on lui a offert de voir à l’accompagnement des participants. Ce qu’il a fait. « On m’a confié la supervision des participants, la coordination des tâches en lien avec des intervenants et des psychoéducateurs », précise-t-il.
Au rythme de chacun
L’intégration des participants exige une adaptation au rythme de chacun. « Nous sommes dans un contexte où l’étudiant est là pour apprendre. Même s’il ne fait pas bien son job, ce n’est pas grave. S’il a besoin d’une pause d’une heure, c’est parfait », énonce-t-il. « Il y a des tâches à faire qui parfois peuvent être un peu plus stressantes, mais puisque c’est d’abord un milieu d’apprentissage, il n’y a pas trop de contraintes de production immédiate », renchérit François Wauthy.
« Il n’y a pas d’obligations, reprend Guillaume Hamann-Legris. Au départ, on y allait beaucoup à notre rythme. Avec le temps passé ici et les expériences qu’on a faites, une efficacité s’est installée, une habitude de travailler s’est développée. On nous confie des responsabilités, des tâches à accomplir chaque semaine, comme préparer les commandes, voir à l’emballage et à la distribution. On a fini par prendre une place, on occupe un rôle important », observe-t-il. François le croit aussi. « On est une main-d’œuvre intéressante pour l’INAB, on donne un bon coup de main. On apporte une aide aussi au CETAB qui a beaucoup de tâches à faire. On fait des tâches qui peuvent libérer le personnel. On est une main-d’œuvre qui souvent allège le travail des autres », fait-il remarquer.
L’INAB, un milieu intéressant
L’équipe du CISA a pratiquement trouvé à l’INAB l’endroit idéal pour mener son projet. « On a constaté que l’INAB est véritablement un endroit propice de par son mandat d’éducation pour des participants qui veulent développer des capacités, des aptitudes en termes de tâches en agroalimentaire, fait valoir Catherine Théberge. C’est un milieu où le participant arrive et explore ce monde agroalimentaire. On peut l’observer, il peut tester des choses. Ça a été vraiment un gros plus dans ce projet. De plus, il ne se vit pas à l’INAB une pression et une notion de performance que l’on retrouve en entreprise. L’INAB constitue un super bel environnement sécuritaire. »
Un des défis réside dans l’intégration dans d’autres milieux de travail. « Le scénario est excessivement intéressant ici à l’INAB. Mais il y a des défis du moment où l’on va dans d’autres milieux, signale Martin Bernard. Ici, on a trouvé l’idéal dans la façon de travailler. Le défi consiste à prendre ce qu’on a appris ici et à le transposer ailleurs dans des entreprises où la performance et la vitesse sont des éléments importants. Il va y avoir beaucoup de sensibilisation à faire. » Le projet a aussi révélé l’importance de la présence d’un superviseur, comme Guillaume, dans les milieux. « C’est essentiel, affirme Catherine Théberge. Ça prend des gens dédiés pour accompagner, mais aussi pour comprendre la tâche, être capable de la décortiquer, de l’expliquer. Certains participants étaient accompagnés de leur intervenante qui s’occupait plus des aspects sociaux de base et d’intégration dans un milieu. Mais dans le milieu même, il faut qu’il y ait un superviseur. »
Guillaume Hamann-Legris le confirme d’ailleurs. « D’avoir une personne dans le milieu qui est capable de les accompagner et d’avoir une constance est nécessaire. À force de travailler avec ces personnes, on apprend à les connaître et à détecter certains signes, comme la fatigue, par exemple », constate-t-il. Au fil du temps, une fraternité s’est développée dans le groupe. « Entre moi pis eux, mais aussi avec les techniciens, les profs, les étudiants. L’INAB brille par cette force d’être un environnement inclusif pour les gens », exprime-t-il. La communauté étudiante a fort bien accueilli, dit-il, l’annonce de la reconduction du projet pour trois ans.
Création d’un balado
Le projet AUSIRIS a aussi mené à la création d’un balado en sept épisodes intitulé Gravir sa vie et animé par Martin Bernard et Pierre-Luc Houde. « L’idée, c’est de diffuser la bonne nouvelle. On partage ce qu’on a appris avec les intervenants qui ont fait partie de ce projet. Nos personnes autistes, peu importe leur degré, si elles sont bien accompagnées, peuvent relever le défi. Nous l’avons prouvé », conclut Martin Bernard. Depuis le 30 avril, un épisode apparaît en ligne chaque mardi jusqu’au 11 juin sur la plateforme Baladoquebec.ca et la page YouTube du CISA.