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15 octobre 2024

Bientôt un motel agricole près de chez vous?

Propriétaire de la Pépinière Janelle, Éric Janelle
Publié le 15 octobre 2024 sur unpointcinq.ca, par Amélie Cournoyer, journaliste de l'Initiative de journalisme local

 

D’un côté, des terres sous-utilisées, de l’autre, des entreprises agricoles en démarrage. Quand les deux se rencontrent, c’est gagnant-gagnant… même pour le climat!

Éric Janelle est un dynamique agriculteur qui a de grandes ambitions et la tête remplie de projets. Il y a trois ans, il a racheté la pépinière que ses parents avaient fondée, à la fin des années 1980, à Saint-Germain-de-Grantham, dans le Centre-du-Québec.

À la culture de cèdres instaurée par ses parents, il a ajouté un vignoble biologique et une ferme bovine, et il compte se lancer bientôt dans la culture maraîchère. Malgré tous ses projets, il ne cultive que la moitié de ses terres, ce qui représente au moins sept hectares. « Je me demandais quoi faire avec ça, puis j’ai eu l’idée de les louer à faible coût à des jeunes », raconte-t-il. Sans le savoir, le propriétaire de la Pépinière Janelle lançait le premier motel agricole de la région.

Économie de partage

Si Éric Janelle n’avait jamais entendu parler de « motel agricole », c’est que le phénomène est tout récent… si récent qu’il n’est pas encore bien défini. En gros, l’idée est de regrouper des productrices et producteurs agricoles qui partagent une terre en plus de mutualiser les bâtiments et la machinerie sur place. « La cotisation annuelle pour la location de la terre servira à payer une partie des infrastructures communes et à entretenir l’équipement, que je partage sans frais », explique Éric Janelle. Il ajoute : « Je vais pouvoir maximiser l’utilisation de mon équipement. La charrue à labourer et la herse à dents sont de bons exemples : je les utilise quelques heures par année; le reste du temps, elles traînent dans les champs. »

À l’heure actuelle, on compte une dizaine de motels agricoles à travers le Québec, de la Gaspésie à l’Outaouais. Les projets peuvent être créés à l’initiative de coopératives, d’organismes sans but lucratif (OSBL), de MRC ou d’entreprises privées. Quant aux locataires de motels, ce sont généralement des productrices et producteurs agricoles en début de carrière.

« Le motel est une façon d’accéder à une terre avec un investissement moindre », soutient Benoît Lartigue, chercheur et chargé de projet au Centre d’innovation sociale en agriculture (CISA) du Cégep de Victoriaville. Le propriétaire de la Pépinière Janelle sait qu’il peut se considérer comme chanceux. « Si je n’avais pas eu mes parents pour me léguer leur entreprise et leur terre à un bon prix, je n’aurais pas pu me lancer en affaires », dit l’homme de 36 ans, rempli de gratitude. Doit-on rappeler que les terres agricoles, qui constituent de 2 à 5 % du territoire du Québec, sont de plus en plus rares et dispendieuses?

«Conseiller, c’est ma force. J’aime mieux aider et encadrer des jeunes qui veulent démarrer que de m’époumoner à essayer de cultiver toutes mes terres moi-même.»
- Éric Janelle, agriculteur

Un accompagnement à long terme

Même si c’est surtout la relève agricole qui en profite, le concept de motel agricole diffère de celui d’incubateur. « Contrairement aux incubateurs, qui ont une vocation d’accompagnement pour des gens qui ont besoin de prendre de l’expérience et devenir autonomes, les motels agricoles ciblent des gens qui souhaitent s’établir et fonctionner à long terme dans un collectif », précise Pierre-Olivier Ouimet, lui aussi chercheur et chargé de projet au CISA. Celui-ci précise que le terme « motel » ne fait pas consensus au sein de la communauté, justement parce qu’il fait référence à un lieu de passage temporaire.

Et puis la frontière avec l’incubateur n’est pas toujours aussi nette : « Il existe des motels qui offrent une forme de soutien informel », commente Benoît Lartigue. Ça sera le cas de la Pépinière Janelle. « Conseiller, c’est ma force. J’aime mieux aider et encadrer des jeunes qui veulent démarrer que de m’époumoner à essayer de cultiver toutes mes terres moi-même », affirme l’entrepreneur qui embauche de 25 à 35 personnes selon les saisons.

Construire des motels agricoles solides

Au début de l’année, le CISA a entamé un projet de recherche afin de réaliser un portrait détaillé des motels agricoles existants (offre de services, défis, pistes de solution), puis de documenter les besoins et attentes des locataires. « L’objectif avec cette recherche est de soutenir leur développement et leur pérennité », commente Pierre-Olivier Ouimet.

Le principal obstacle aux motels agricoles est le financement, tant du côté des porteurs et porteuses de projets que des locataires, qui sont des entreprises en démarrage. « Comme tout nouveau propriétaire agricole, j’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête avec tous les paiements que j’ai à faire. Mais je sens qu’à plusieurs, on peut s’aider à l’enlever, cette épée-là », illustre Éric Janelle.

Comme le concept de motels agricoles est très jeune et que l’étude du CISA en est encore à ses débuts, il est difficile de tirer des conclusions sur la pérennité de ce genre de projet. « Tant que les terres agricoles sont aussi chères et que les démarrages sont aussi difficiles, ça répond à un besoin. Donc, ça peut être prometteur », pense Benoît Lartigue.


L’union fait la force

Le propriétaire de la Pépinière Janelle est encore en train de faire germer son projet de motel agricole. Après avoir annoncé ses parcelles de terre à louer sur Marketplace, il a accueilli son premier locataire, un producteur d’arbres à noix, le printemps dernier. Depuis, sa petite annonce est toujours affichée, et d’autres personnes l’ont contacté. Mais Éric Janelle souhaite mieux se préparer à accueillir ses prochains locataires, en construisant notamment des aires communes et des bureaux qui seront mis à leur disposition, un bâtiment pour abriter sa nouvelle chaufferie à biomasse et une salle de conditionnement pour les produits maraîchers. « Je m’affiche, parce que je veux me faire connaître et faire connaître mon projet, mais je ne pousse pas, parce que je veux être prêt à 100 % avant d’accueillir les jeunes », confie-t-il.

Son objectif? Accueillir une douzaine de locataires dès 2025. Pour lui, c’est gagnant-gagnant : ses locataires pourront profiter de sa propriété, de son expertise, de sa visibilité et de son commerce pour éventuellement vendre leurs produits. Quant à lui, il sent qu’il obtiendra en retour plus de visibilité et d’achalandage, ce qui pourrait éventuellement lui permettre de concrétiser un de ses rêves : ouvrir un centre agrotouristique avec ses locataires.